




Jamais je ne t'oublierai
« Dans son nouveau projet Jamais je ne t'oublierai, l'objectif semble vouloir sauver les images de l'oubli et de l'effacement.
Rendus précieux par l'or, ces joyaux de la mémoire privée deviennent objectivement précieux et rappellent parfois l'univers énigmatique et surréaliste de Fornasetti. »
Laura Serani
250.00€
Artiste: Carolle Bénitah
Texte de: Carolle Bénitah, Laura Serani
Langues: Francais, Anglais
Dimensions: 22.6 x 20.6 x 2 cm
Poids: 470 g
Pages: 56
Description
« J'ai réalisé, en travaillant sur mes archives personnelles, qu'il existait très peu d'images de mes parents avant leur mariage, un désert iconographique expliqué par le fait qu'ils sont nés dans les années 1920 dans un Maroc encore sans eau courante ni électricité. Les rares photographies détenues par ma grand-mère étaient verrouillées à double tour pour ne pas évoquer le drame causé par la perte accidentelle d'un de ses fils. Une chape de silence avait frappé d'interdit cette vie antérieure. Je me suis retrouvée orpheline d'images du passé.
Je collectionne les photographies anonymes que j'achète dans les brocantes. Je suis aimantée par ce bonheur qui s'affiche au garde-à-vous sur ces photos, par ces gens que je ne connais pas et qui ont existé, aimé et disparu. Ils sont des fantômes qui me suivent sans bruit et je me les approprie pour construire un album de famille imaginaire afin de réparer l'oubli.
Je reconstruis la mémoire de ma famille qui m'a manqué, je m'en invente une autre sur mesure où je ressuscite tous les ascendants qui ont disparu, les territoires que je n'ai pas connus et qui m'ont été vantés.
Ces rebuts, cédés pour quelques euros sur le bord du trottoir parce que les héritiers n'en veulent plus, changent de statut par un geste, l'application de la feuille d'or sur la photographie. En masquant une partie de l'image, et plus spécifiquement les visages de ces fantômes, je décuple les projections possibles.
L'or est un métal inoxydable. L'à plat doré opère à la fois comme une oblitération et une surface brillante sur laquelle se réfléchissent nos propres visages.
Je choisis des photographies qui évoquent quelque chose de déjà-vu, une pose familière, des moments heureux qui illustrent toutes ces fables racontées sur les ancêtres. Ce bonheur ritualisé au fil des évènements renvoie aux mensonges sur le mythe familial. Il évacue la matière noire liée à la famille, justement absente de ces photographies-là.
Afin de démentir ce bonheur idéal, je note au bas des photographies de cet album imaginaire, des souvenirs personnels et douloureux qui parlent de difficulté à se construire une vie heureuse « comme sur les photos ».
Je tape ces souvenirs sur un clavier dont des touches sont inopérantes à cause d'un café que j'y ai accidentellement renversé, tout comme Hölderlin qui a volontairement enlevé certaines cordes de son piano et joue sans savoir lesquelles sont manquantes. Les souvenirs que je relate deviennent opaques, incompréhensibles pour le lecteur. Mais à l'instar de ces photographies qui disent l'impossibilité de l'identification, je construis des souvenirs absents.
Utiliser ces images est une force de vivre par procuration et de reconstituer une vie rêvée. Néanmoins, l'intervention de la feuille d'or créé des trous de mémoire et impose une distance, ce qui fait que je ne suis pas dupe du mensonge qu'elles affichent.
Travailler sur ces photographies permet de faire le deuil de cette vie de famille idéale. Reprendre un à un tous les anciens fantasmes concernant ces projections et les démonter rend cette mort symbolique supportable.»
Carolle Bénitah